de l'arrogance du saint père Fastriver, de la douceur furtive de la mère Vieillerive, il découla cinq enfants. tu étais de ceux-là, petite troisième merveille, enfant milieu, enfant pris dans ce sandwich, se délectant de tous les plaisirs qui lui étaient accordés et refusés aux plus vieux. une gueule d'ange, un don pour les mots, et on t'aurait offert Paris sur un plateau de cristal. dès la tendre enfance les secrets, les mots doux de maman sur papa, la menace dissimulée, les ombres le soir dans le couloir grinçant.

les animaux sur les murs, la peinture blanche, et le début de l'école. ton petit frère venait de naître, enfant sage, doux, te révoltait, toi, la colère, le digne fils de son papa, fureur cachée sous les traits d'un ange. avec l'école vint les premiers émois sportifs, le début des tennis avec le patriarche les mercredi. les premiers rebonds, les premiers points, les premiers éclats de fierté dans ses pupilles à lui. elle, tu la délassais, sans vraiment le vouloir, brisant ce cliché du fils à sa maman pour instaurer du fils à son papa. gamin déjà bien convoité, les premières demoiselles, les premières fleurs, les premiers mots d'amour, les premiers baisers innocents volés à la récré.

quatorze ans, les deux premières années de handball, les premiers regards surpris sur le corps des autres garçons, de soudaines envies, une honte, quelque chose qu'on cache, les premières insultes, discriminations, tu t'imposais, les filles t'embrassaient, les notes excellentes, toujours la fierté du père et l'effacement de la mère. vivre dans l'ombre de ce héros ne te satisfaisait plus, les premiers cris, les premières crises, le début d'une popularité au goût amer. les repas avec ceux qu'on regarde, ce désir de devenir le roi du collège, puis, plus tard du lycée. les rumeurs qu'on jette ici et là, sans vraiment se soucier, le premier coming-out. le rejet de l'ami, sa peur que tu l'aimes. tes larmes, ta colère, le dégoût envers toi-même "putain pourquoi est-ce que je suis comme ça", l'incompréhension des plus simples rouages d'une société qui ne te séduit pas. le handball toujours. les amis. le père, moins. le tennis. les abdos qu'on exhibe fièrement, corps suscitant désir et envie, fascination pour les autres garçons, toujours.

vingt années, une majorité dépassée, un épanouissement, tous au courant du regard sur le torse masculin, tous au point, tu as quitté ceux qui ne voulaient plus de toi que le portrait qu'ils avaient construit. toujours le handball, dans une équipe semi-professionnelle, ce job de serveur, les sourires féminins que tu évites, la solitude presque du fait des amis disparus, les liens plus forts que jamais avec la famille, et pourtant toujours ce regard vers l'oreiller voisin, aligner les aventures ne comble pas tout et tu t'en rends peu à peu compte. nice, la ville de ton cœur, et tes balades sur le port le soir, à la recherche de l'âme sœur.

et puis tout le reste. la vie n'est pas finie.